contribution de Philippe MEIRIEU, extrait des Cahiers pédagogiques,
ATP,
1989, p. 75
Les critiques faites à la notion de tutorat s'enracinent bien
souvent dans une attitude corporatiste qui, de toute évidence, ignore quelque
peu l'intérêt des élèves. Or, il est certain que l'échec
scolaire tient pour une grande part à l'ignorance que l'école entretient par
rapport aux questions méthodologiques. L'enseignant renvoie
habituellement "à la maison" des
acquisitions fondamentales qui déterminent vraiment la réussite scolaire:
apprendre une leçon, faire un brouillon, confectionner un exposé, réviser un
contrôle, organiser son temps, se fixer des objectifs, être capable de les
évaluer... Nous savons bien qu'il y a là des capacités déterminantes et
réellement discriminatoires; sans un effort pour les mettre en place, nous ne
pouvons que nous plaindre de ce que les élèves ne savent pas faire ce que nous
ne leur avons jamais appris. En ce sens, le tutorat devrait avoir un rôle
décisif et être un outil efficace dans la lutte contre l'échec.
Cependant, nous voudrions alerter les enseignants sur
quelques difficultés de l'exercice du tutorat; elles ne
remettent pas en cause la notion même mais devraient nous inciter à un peu de
vigilance critique.
Survoler de façon excessive la part relationnelle au
détriment de la part didactique |
Certes, les deux aspects sont étroitement
liés et il est tout à fait possible qu'une amélioration des
"rapports humains" contribue à faciliter des apprentissages
précis. Mais le contraire peut aussi jouer et nous connaissons bien la
tentation qui consiste à "récupérer" au relationnel les
échecs de notre pratique didactique au lieu de tenter de les dépasser.
La satisfaction d'entretenir de bons rapports "mêmes avec les
cancres" peut avaliser les clivages au lieu de les résorber. On
enveloppe simplement le fonctionnement habituel de la classe d'un peu de
"chaleur humaine" et le tour est joué. |
Penser que tous les élèves sont égaux et qu'ils peuvent
en tirer les mêmes satisfactions affectives |
Peut-on ignorer le poids de tous les
phénomènes de complicité culturelle et d'identification ? Nous savons
bien que l'absence de supports objectifs à la relation pédagogique
réactive considérablement l'action de relations souterraines où sont
outrageusement privilégiés ceux qui d'une façon ou d'une autre
ressemblent à l'enseignant.
Dans l'état actuel des choses, il n'est pas sûr du
tout que tous les enfants bénéficient de la valorisation de la relation
au détriment de la didactique. Il est même vraisemblable que c'est un
milieu social déterminé qui tirera, là encore, son épingle du jeu. |
Mettre en oeuvre de façon sauvage et non distanciée
quelques concepts empruntés à la psychologie et à la sociologie. |
La relation éducative prendrait alors la
forme d'une investigation systématique sur le passé et l'environnement
de l'élève sans toujours disposer d'outils suffisamment élaborés. Elle
encourrait alors le risque de chercher là des faits qui légitiment un
échec scolaire plutôt que des moyens de dépasser une situation donnée.
Un élève pourrait alors un jour se lever et dire: "Je te demandais
de m'enseigner les mathématiques et non d'aller chercher dans mes
rapports avec ma mère les causes de mes échecs !" |
Faire du tutorat un lieu où débattre de l'ensemble
du fonctionnement de la structure scolaire |
Le tuteur devrait alors accepter ici de
légiférer sur les pratiques de ses collègues absents et à propos
desquelles il ne dispose ni des compétences suffisantes ni du moindre
moyen d'action. Accepter le débat sur ce plan reviendrait alors à se
contenter d'exhortations bienveillantes au dialogue ou à s'engager dans
une disponibilité totale aux critiques des élèves et une complicité
non distanciée.
Ce serait surtout empêcher que le débat émerge là
où il peut avoir une véritable signification et ouvrir à une
transformation, c'est à dire avec chacun des enseignants concernés. |
S'orienter vers l'organisation d'activités para-scolaires |
Faute de pouvoir gérer les conflits, l'on se
contenterait de les oublier dans quelques moments d'effusion collective
qui fonctionneraient comme autant de parenthèses compensatoires sans
toucher aux fonctions traditionnelles d'un réseau scolaire qui
continuerait à exister, à côté, de façon inchangée. |
Le tutorat est un outil inestimable pour faire évoluer le système
éducatif, à condition que l'on considère que c'est
autour de l'acquisition des méthodes personnelles de travail qu'il doit
être centré. La tâche paraît modeste, elle n'en est pas moins tout à fait
urgente. |